L'interview de Jean Goulet, ancien Pdg de Goulet-Turpin (créateur du premier supermarché français)

Publié le par Frédéric Carluer-Lossouarn

L'idée de consacrer un livre aux tout premiers supermarchés est le fruit d'une rencontre ou plus précisement le prolongement d'une interview de M. Jean Goulet, ancien PDG de Goulet-Turpin, la société à l'origine du premier magasin en libre-service et du premier supermarché français. Voici cette interview réalisée en 2004 pour le magazine Linéaires.

 

En 1948, vous avez vu votre père inaugurer le premier magasin alimentaire français en libre-service, à Paris. Quel souvenir en gardez-vous ?
C’était une formule révolutionnaire pour l’époque. Nous changions radicalement un modèle de vente assistée séculaire. Au début, les clientes étaient gênées. Elles hésitaient à prendre les articles elles-mêmes ou rechignaient à se saisir d’un panier. Pourtant, même si beaucoup de succursalistes de l’époque n’y croyaient pas vraiment, le magasin a obtenu de bons résultats. Le réseau s’est développé. En 1953, 100 succursales Goulet-Turpin sur plus de 660 avaient adopté le libre-service. En 1958 on en comptait près de 400.
Comme votre père pour le libre-service, vous avez fait le voyage aux Etats-Unis pour y étudier les supermarchés. Le concept de l’Express Marché, premier supermarché français, est-il né là-bas ?
Effectivement. En 1957, j’ai passé un an au Etats-Unis dans la chaîne « Colonial Stores » d’Atlanta. J’y ai occupé tous les postes afin de comprendre le fonctionnement d’un supermarché. En même temps, j’envoyais des comptes-rendus, des photos et des dessins des rayonnages, des caisses et des chariots au siège de Goulet-Turpin, à Reims où nous avions un groupe d’études interne chargé de mettre au point l’Express Marché.
Le 15 octobre 1958, vous inaugurez en banlieue parisienne l’Express Marché. Sa taille (560 m²) semble bien modeste aujourd’hui, mais là encore c’était une révolution.
Absolument. Pensez qu’à l’époque la plupart de nos succursales ne dépassaient pas les 100 m². Même chose pour le parking. Nous nous sommes battus pour avoir une centaine de places de parking alors qu’on nous en proposait trente. Au début, on nous a même répondu qu’on n’était pas aux Etats-Unis !
Quelle a été la réaction des clients ?
Il y a eu un temps d’adaptation mais les clients se sont vite habitués à pousser un chariot. Pourtant, un sondage réalisé avant l’ouverture indiquait que 90 % des personnes interrogées refusaient de prendre un chariot. Les gens avaient peur d’être ridicule. Le même sondage montrait que les clients refusaient d’acheter de la viande sous-cellophane. Evidemment, ces appréhensions se sont vite dissipées. Les clients ont été séduits par le choix proposé. Le magasin alignait 3 000 références contre 600 dans une succursale classique : de l’épicerie, des liquides et des marchandises générales bien sûr mais aussi des produits frais. Nous étions par exemple les premiers à proposer un rayon surgelés.
Curieusement, l’approvisionnement des rayons se faisait en réserve au moyen de paniers amovibles. Pourquoi ?
C’est une bonne illustration des compromis que nous avons dû réaliser par rapport au modèle américain. Beaucoup dans la société craignaient que le réapprovisionnement en rayon ne gène les clients. Personnellement, j’étais aussi partisan d’adopter des gondoles hautes mais certains pensaient que cela faciliterait le vol.
Si la configuration du magasin était effectivement révolutionnaire, les prix appliqués n’étaient pas vraiment discount. Pour quelles raisons ?
A l’époque, j’avais effectivement le sentiment que l’on n’avait pas été assez loin. J’étais en faveur des prix bas mais la majorité des membres de la direction ne voulaient pas casser les prix. Le discount n’était pas ancré dans la culture de la société. Nous avons fait un test dans le troisième Express Marché ouvert à Châtenay-Malabry mais il n’y a pas eu de suites.
Goulet-Turpin a été précurseur en matière de libre-service et de supermarchés. En revanche, votre incursion dans les hypermarchés a été un échec. Pourquoi ?
Nous avons fait une erreur de positionnement. Nous voulions proposer une très grande surface de vente « qualitative », à mi-chemin entre le grand magasin et le supermarché mais nous n’étions pas assez compétitifs en prix. Comme notre réseau était insuffisant et qu’il fallait renflouer la branche supermarchés et proximité qui perdait de l’argent, nous avons finalement cédé nos 5 hypermarchés GEM à Viniprix-Euromarché, en juin 1978. L’année suivante, les supermarchés et les succursales ont été revendues à Promodès. Les anciens Express-Marché sont devenus des Champion. Le magasin de Reuil-Plaine existe d’ailleurs toujours. Goulet-Turpin s’est ensuite déployé dans des secteurs d’activités autres que la distribution alimentaire, avant sa fusion avec le groupe Eurocom-Havas en 1981.

Propos recueillis par F. Carluer-Lossouarn

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